Ce printemps 2020 devait être un beau moment de rencontre pour nous. C’est la saison idéale pour visiter l’Italie. Nous attendions nos amis avec impatience avec des projets plein la tête. Mais personne ne pouvait prévoir la crise mondiale qui arriverait avec la Covid. Encore moins que l’Italie devienne le pays d’Europe le plus sévèrement touché. Finalement, c’est la planète entière qui sera mise sous cloche. Le tourisme, le transport aérien sont paralysés, nos amis ne viendront pas. Mais moi aussi j’avais prévu un voyage ce printemps, mais dans l’autre sens : direction du Canada! J’avais prévu aller épauler ma fille pour la naissance de leur premier bébé. Ma fille habite à Terre-Neuve.
Je savais que ce ne serait pas simple, mais j’allais me battre bec et ongles pour y arriver même dans ces circonstances difficiles. Voyant comme tout le monde la situation se dégrader, j’ai pris la décision de devancer mon vol pour le Canada : je partirais un mois plus tôt.
Ce voyage allait être un vrai parcours du combattant se compliquant chaque jour un peu plus à mesure que la crise s’aggravait. Première destination : Kingston en Ontario chez ma fille aînée et sa petite famille pour mon premier confinement. À ce moment-là, la situation de la Covid était encore en évolution au Canada (pas aussi avancée qu’en Italie).
Comme j’arrivais d’une zone à risque, j’étais déjà sensibilisée à toutes les règles d’hygiène pour protéger ma famille et mes petits-enfants. C’est avec beaucoup de joie, mais constamment aux aguets que j’ai pu profiter de la présence de mes petits-fils de trois ans et cinq ans. À peine quelques jours suivant mon arrivée, les garderies et écoles ont été fermées, ce qui m’a permis de les voir plus que je ne l’espérais.
Lors de mon séjour, j’envisageais aussi voir ma mère, mais comme elle demeure dans une résidence pour aînés, les restrictions servant à préserver leur santé et bien-être devaient être respectées, alors aucune visite.
Ça m’a vraiment attristée d’être au Canada sans pouvoir passer du temps avec elle. Mais comme tout le monde, j’ai contourné cette difficulté avec des rencontres virtuelles sur Skype. Étonnamment, la technologie n’a pas agi comme un pis-aller, mais plutôt comme un moyen formidable grâce auquel pour j’ai pu garder contact et même me rapprocher de mes êtres chers. Mais ce n’est quand même pas la vie normale et nous le savons tous. Je m’accroche parce que je sais qu’il y a encore des obstacles à surmonter pour aller à Terre-Neuve.
Comment me rendre là ? À mesure que mon séjour avance, les conditions deviennent de plus en plus strictes y compris pour les vols domestiques. Comme je craignais qu’avec l’évolution de l’épidémie mon voyage ne devienne impossible, une fois de plus je devance mon prochain vol pour Terre-Neuve. Heureusement que mon conjoint m’épaule dans la logistique compliquée de mes déplacements. C’est encore une complication et une dépense de plus ! Arrivée à Terre-Neuve : deuxième confinement !
Encore une fois, aucune accolade n’est permise et la distance est obligatoire. Ce n’est pas facile pour une mère de renoncer à ça, mais ce sont des mesures incontournables. Ma fille en était dans son dernier trimestre de grossesse et nous sommes extra vigilantes toutes les deux. Il n’y a pas de risque à prendre. Une fois le confinement terminé, les seuls déplacements que nous nous permettons ma fille et moi sont des marches au grand air.
Bébé Benjamin Luc est arrivé à 41 semaines de grossesse. Seul le papa était admis aux côtés de sa femme pour l’accouchement. Je n’ai pas pu voir le bébé avant le lendemain et par la fenêtre de l’hôpital. L’accès à l’hôpital était extrêmement restreint.
Malgré la barrière de verre, je le vois enfin ! Quelle merveille ! Combien j’aurais aimé serrer ma fille dans mes bras et prendre mon petit-fils. Il est si beau et resplendissant de santé. Même à la sortie de l’hôpital je ne pouvais pas être présente. C’est une infirmière qui accompagnait ma fille et le bébé pendant que son conjoint doit attendre dans la voiture! La distance imposée rend tout étrange. L’amour reste comme en suspens, mais trouve d’autres voies.
Comme ces voisins sympathiques qui sont venus féliciter les nouveaux parents et souhaiter la bienvenue au petit poupon… à travers de la fenêtre. Des beaux gestes d’amitié et de solidarité. Pendant tout le reste de mon séjour chez ma fille je l’aide comme je peux en lui préparant des petits plats. Et puis vient l’heure du départ. C’est toujours déchirant, mais comme femme de militaire, j’ai pris l’habitude de dire « à la prochaine » pour alléger la tristesse de la séparation. Mais je laissais derrière moi, ma fille et son premier-né, tous deux en pleine santé, ça rend le départ moins douloureux.
En tout et pour tout, j’aurai passé 2 mois au Canada. Il était temps de rentrer et j’avais très hâte de retrouver mon conjoint Darrel resté à Naples. Là aussi il a fallu faire preuve de résilience tous les deux. Trouver un vol pour retourner en Italie a été une vraie mission militaire. Encore une fois, j’ai la chance de partager ma vie avec un colonel qui s’y connaît en situation de crise. Au plus fort de la pandémie au Canada, il y avait très peu d’envolées pour l’Europe. Les vols en partance de Terre-Neuve étaient aussi extrêmement limités : un seul vol de St John’s, Terre-Neuve pour Montréal ! Mon trajet a mis ma patience à rude épreuve avec des escales interminables dans des aéroports déserts : St-John-Montréal (escale de 11 heures) Montréal-Frankfort (escale de 8 heures) Frankfort-Rome. La pandémie exigeait aussi pour le retour, des liasses de documents supplémentaires pour entrer au pays dont mon permis de séjour et la lettre de « self déclaration » que j’ai présentés à mon arrivée à Frankfort et Rome. Après toutes ces heures de vol et d’attente, l’inquiétude me prend : et si je faisais de la fièvre ? Mais tout se passe très bien. Je pousse un grand soupir de soulagement !
Finalement j’arrive à Rome où mon mari m’attend les bras ouverts pour ensuite prendre la route pour pendant deux heures avec tous les papiers en main. C’est presque inimaginable qu’après toutes ces contraintes, il me reste encore une épreuve : un troisième et dernier confinement pendant 14 jours à la maison. Mais je suis chez nous, avec mon mari. Même limitée à nos quatre murs, mon jardin et mes fleurs, c’est déjà un peu plus léger. Je peux dire qu’il y a un certain retour à la normale. Comme on dit en Italie : Andra tutto bene : tout va bien aller.